Chacaltaya : l’improbable observatoire…

Chacaltaya
5300 mètres d’altitude !

Il faut être fou pour aller si haut. C’est du moins ce qu’on se dit avant de l’avoir fait. Après, on en est persuadé !

Mais la science est une aventure. Les rayons cosmiques, comme leur nom l’indique, viennent du cosmos, et plus on s’élève, plus on se rapproche de leur vérité. De nombreuses particules énergétiques, sillonnant la galaxie ou provenant directement du soleil, ne cessent de bombarder notre planète. L’atmosphère nous protège de ces rayonnements, faits de photons gamma, d’électrons, de neutrons, de protons et de toutes sortes de noyaux énergétiques. En interagissant avec les molécules de l’air, ils produisent des particules dites secondaires, qui a leur tour en produisent d’autres, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’énergie de la particule incidente soit répartie en un grand nombre de « particules filles », d’énergie moindre, incapables de donner naissance à de nouvelles générations de particules. La « gerbe » de particules ainsi produite (les anglophones disent « pluie » – « averse » serait plus joli…) peut contenir jusqu’à plusieurs centaines de milliards de particules, dans les cas extrêmes, et peut être détectée et analysée de diverses manières, pour remonter aux caractéristiques des particules incidentes. Mais c’est une autre histoire…

Toujours est-il que depuis près de 80 ans, un certain nombre de physiciens se sont faits alpinistes aventuriers, un peu partout sur la planète. Dans les Alpes, au Tibet, dans les Andes… Chacaltaya est (sauf erreur) le laboratoire de physique le plus élevé au monde, avec ses bâtiments à 5 300 m !

On m’avait prévenu : l’altitude, c’est dur. C’est néanmoins avec grand enthousiasme que nous nous sommes mis en route aujourd’hui, avec une dizaine de collègues désireux d’installer un nouveau type de détecteurs à très haute altitude (l’expérience LAGO), pour étudier l’éventuelle émission de photons de très haute énergie associée à ces extraordinaires événements cosmiques qu’on appelle « sursauts gamma ». [Il s’agit d’explosions gigantesques, dont l’origine est encore en partie inconnue, au cours desquelles se trouve émise en quelques secondes toute l’énergie que rayonnerait notre Soleil en 300 milliards d’années – ce qui est d’ailleurs bien plus que sa durée, d’environ 10 milliards d’années !]

Bref, nous sommes partis plein d’enthousiasme, et revenus enchantés par cette expérience extrêmement rare (rappelons que le Mont Blanc culmine à 4807 mètres). Entre temps… euh… c’est un peu confus. Dès 4500 mètres, les choses commencent à flotter. On sent que quelque chose se passe, qui échappe à notre conscience. On tourne la tête, et c’est comme si le cerveau était en retard d’une fraction de seconde. La fatigue physique est pour ainsi dire un détail. Et plus on monte (en 4×4, heureusement !), plus on se dit que c’est fou d’installer des détecteurs si haut. À l’arrivée, c’est encore pire. Pour le dire en deux mots, on n’est bon à rien !

D’après notre guide/collègue, même les habitués vivent mal l’altitude. Pour des raisons de logistique, nous n’avons pu nous acclimater qu’une seule journée et deux nuits à 3 600 m (au centre ville de La Paz) avant de monter à Chacaltaya. Mais même les boliviens qui passent leur vie à cette altitude ressentent de violents maux de tête la première nuit passée dans les « dormitorios » de Chacaltaya. Ces maux de tête finissent par disparaître, mais l’impression de flottement reste toujours un peu présente… On est moins efficace, moins lucide.

N’empêche, des héros méconnus ont renouvelé l’aventure, construit ces bâtiments (rudimentaires, certes), mis en place quelques services élémentaires, installé des détecteurs, conduit des expériences diverses. On trouve là-haut des scintillateurs en réseau, installés par les japonais, ou encore des blocs de paraffine gigantesques marqués de la feuille d’érable canadienne et provenant apparemment de l’industrie nucléaire, destinés à détecter des neutrons (consécutifs à des éruptions solaires).

Quelques pièces encombrées abritent des centaines de mètres de câble, des ordinateurs préhistoriques qui semblent pourtant en service, et des blocs d’une électronique primitive, assez semblable à celle que j’avais pu voir il y a quelques années dans la fameuse « Cité de étoiles », cœur du dispositif de pilotage et d’entraînement spatial à quelques kilomètres de Moscou…

Deux portes de bois et un escalier branlant plus loin, on trouve quelques vieux photomultiplicateurs entassés, et un détecteur de muons disposé sous un impressionnant blindage constitué de gros sacs de ciments empilés en une sorte de tombeau égyptien, dans le sous-sol de la vallée des rois. Sauf que ce n’est pas du ciment, mais du minerai de plomb très pur. J’en ai ramassé une poignée qui sortait d’un sac éventré : c’est comme du gravier, mais avec parfois de brillantes facettes, et surtout extrêmement lourd ! En observant tout cela, en se faufilant le corps recroquevillé pour passer dans ce petit tunnel de plomb et déboucher dans cette chambre minuscule totalement obscure, on se croirait véritablement sur une autre planète, où des pionniers auraient installé un jour quelques machines étranges pour un usage inconnu, ou pour exploiter quelque mine miraculeuse d’une substance unique dans toute la Galaxie.

Inoubliable !

Je n’ai pas pu prendre de photos (j’avais déjà saturé la mémoire de mon téléphone avec quelques vues de La Paz et du plateau qui la surplombe et mène à Chacaltaya ; cf. le post d’hier et ci-dessous), mais j’espère que ces quelques descriptions vous auront donné une idée de cette expérience quasi magique.

Avant de repartir, nous sommes invités à gagner le coin cuisine et la salle à manger. Il faut traverser une sorte de salle de détente, ornée d’un vieux canapé et… d’un baby-foot. Un collègue m’a pris en photo en train de jouer. Dès que j’aurai récupéré la photo, je promets de la mettre sur ce blog : une partie de baby-foot à 5300 mètres d’altitude, ça ne se voit pas tous les jours ! Dans la petite cuisine donnant sur les montagnes majestueuses à la frontière du Pérou, nous sommes accueillis par un indien des Andes au sourire magnifique. Quelques scientifiques et opérateurs se relaient ici, restant quelques jours avant de « redescendre », comme on prendrait un vol spatial pour retourner sur Terre…

Sur la table, des bols d’eau chaude nous attendent, où infusent quelques feuilles de coca. « C’est bon pour l’altitude ! » Pour l’altitude, je ne sais pas, mais sans aucun doute, c’est très bon ! On nous propose aussi quelques feuilles à mâcher. Pas très facile, car les feuilles se désagrègent très vite dans la bouche, mais très bon aussi…

Est-ce le plaisir de s’asseoir ensemble dans un lieu aussi insolite, ou l’effet direct de l’infusion de coca ? Je ne saurais le dire, mais il est possible que les maux de têtes et les semi-vertiges se soient quelque peu estompés à cette occasion…

N’empêche, il n’est pas mauvais de redescendre. Sur le chemin du retour, la plupart d’entre nous se trouvent assaillis par le sommeil. Je lutte avec difficulté pour capturer encore quelques images de ces montagnes époustouflantes, aux couleurs très marquées, rouges, orangées et vertes, et de cette plaine à 4 500 mètre d’altitude, recouverte d’herbes et de mousses diverses, qui s’étend paisiblement, parsemée de cours d’eau et d’étangs, jusqu’au mythique lac Titicaca qu’on aperçoit au loin : le plus haut lac navigable du monde, à 3810 mètres d’altitude !

Un peu plus tard, à La Paz, il faut se secouer un peu pour reprendre une activité normale, et puis finalement le corps se remet d’aplomb, comme si un rêve étrange se dissipait. Normal, on n’est plus qu’à 3 600 mètres !

ET
PS: Quelques vues, tout de même :

Chacaltaya

Sur la route de Chacaltaya, juste au-dessus de El Alto, et donc de La Paz :

En route vers Chacaltaya

En route vers Chacaltaya

Toujours en montant à Chacaltaya, ci-dessous, au fond, au centre de la photo, un peu en contrebas, on aperçoit le lac Titicaca et la frontière avec le Pérou. Magistral !

Plateau andin, en Bolivie

Et bien sûr – ce n’est donc pas une légende ! – deux lamas un peu à l’écart du troupeau (nous à sommes à 4 200 mètres d’altitude !)

Deux lamas andins

Inoubliable, vous dis-je !

Équinoxe à La Paz !

La Paz ! La Paix !
Qu’elle se répande ainsi que la lumière des cimes sur tous les peuples andins !

La Paz est incontestablement la ville la plus insolite qu’il m’ait été de voir à ce jour.

Dès l’atterrissage sur l’aéroport d’El Alto, c’est une sensation étrange. La cabine de l’avion est généralement re-pressurisée à l’ouverture des portes, mais ici, c’est le contraire : la pression extérieure est de loin la plus faible !

Est-ce le manque d’oxygène ou la fatigue du voyage depuis Mendoza (quatre vols dans la même journée…) ? Sans doute les deux. Toujours est-il que je suis le dernier à sortir de l’avion : absorbé par ma lecture, je ne vois pas les autres passagers sortir de l’avion, mais je suis tout à fait convaincu que l’appareil bouge encore ! Pourtant non : il est bien arrêté. Je descends donc et, cette fois, c’est le tarmac qui me semble se mouvoir étrangement ! Le temps de réaliser que je suis à plus de 4000 mètres, et c’est l’euphorie ! Réaction habituelle ? Je ne sais. Mais je ne suis pas le seul : d’autres collègues sont pris d’une forme aiguë de stupidité béate ! 😉

Mais il tard, et nous voilà partis pour descendre (sic !) au centre ville de La Paz… à 3600 mètres d’altitude ! C’est la plus haute capitale du monde, et de loin ! L’altitude laisse des traces : des mots de têtes persistants, voire violents, et bien sûr un cœur qui s’accélère dangereusement au moindre effort, pas seulement pour monter un escalier, mais même pour se retourner dans son lit ! On oublie à quel point notre corps a besoin d’oxygène pour ses plus banales activités, puisque c’est cet oxygène qui amorce le cycle biochimique apportant et transformant l’énergie partout où notre corps peut en avoir besoin… c’est-à-dire partout !

C’est aujourd’hui l’équinoxe et je voulais en dire un mot, car c’est un jour peu banal sur le plan astronomique. Mais voici d’abord quelques vues de La Paz (pardon pour la qualité très médiocre, mais je suis déjà bien content que mon téléphone possède une extension photo : merci Sacha et Natacha 😉 ).

La Paz

La ville s’étend sur les pentes d’une vaste “cuvette”, depuis le plateau d’El Alto, à 4 000 m, jusque vers 3 300 m d’altitude, avec un centre ville à 3 600 m.

La Paz

Ci-dessus, à gauche, une rue de la ville d’El Alto, dont la population est à grande majorité indienne. Les femmes portent très souvent la tenue “traditionnelle”, une robe, un châle… et un chapeau melon ! Emprunté aux anglais, cet accessoire est extrêmement répandu dans toute la ville (y compris à La Paz). On le nomme paraît-il “Borsalino” ! (Les italiens fabriquant des chapeaux anglais, c’est sans doute en Bolivie que se fera l’Europe !)

La Paz

Quelques rues…

La Paz

La Paz

À La Paz, je n’ai pas vu une seule rue qui soit plane !

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Bon, juste un mot sur l’équinoxe, alors. Les racines latines « equi » et « nox » sont assez éloquentes : il s’agit du jour où les nuits ont la même durée partout sur la Terre ! (Et par conséquent, les jours aussi, mais je suppose qu’il n’est pas étonnant que ce soit la nuit qui ait le plus retenu l’attention des astronomes…)

Comme l’on sait, l’axe de rotation de la Terre sur elle-même est incliné par rapport à son plan de rotation autour du Soleil. C’est pourquoi l’éclairement de notre planète par son étoile dépend de leur position relative, qui varie au cours de l’année (grande révolution de la Terre autour du Soleil). En été, dans l’hémisphère Nord, les jours sont plus longs que les nuits. Au même moment, c’est l’hiver dans l’hémisphère Sud, et les nuits sont les plus longues. Au-delà des cercles polaires (Nord et Sud), il y a même des jours où le Soleil ne se lève pas du tout (en hiver), et d’autres où il ne se couche jamais (en été) : c’est le fameux Soleil de minuit !

À mesure que la Terre se déplace autour du Soleil, l’orientation relative des deux corps célestes se modifie : on passe de l’été à l’hiver, et réciproquement. En passant d’une période où les nuits sont plus longues que les jours à une période où c’est l’inverse, on comprend bien qu’il y a forcément un moment où la durée de la nuit doit être égale à celle du jour ! Douze heures chacune ! Ce qui est remarquable, c’est que cette situation se produit au même moment partout sur la planète ! (En fait, il est assez simple de comprendre pourquoi, mais il faudrait faire un dessin…) En d’autres termes, il y a un certain jour dans l’année (en fait, deux) où quel que soit l’endroit où l’on se trouve sur la Terre, le jour durera 12 heures, et la nuit pareillement 12 heures. Ce sont les équinoxes de printemps et d’automne. Non seulement la nuit a la même durée ces jours là sur toute la planète, mais cette durée est également égale à celle des jours. Et bien voilà, c’est aujourd’hui !

Dormez bien tous, où que vous soyez !

ET

PS : dans le cas extrême où l’on se trouve au pôle Nord ou au pôle Sud, on sait qu’on a dans l’année une seule « nuit », qui dure 6 mois, et un seul « jour », qui dure 6 mois aussi. Est-ce en contradiction avec ce qui précède ? Non. Car les deux équinoxes sont justement les jours (24 heures) de transition. Ces jours là, on a bien 12 heures de jour (la fin des six mois où le Soleil est visible) et 12 heures de nuit (le début des six mois où il ne le sera plus), ou l’inverse… [C’est beau, l’astro ! ;-)]

À quand la grippe pour les avions ?

J’ignore combien de temps encore les Hommes bénéficieront de cette machine étonnante qu’on appelle « avion ». La crise énergétique mondiale est proche, et il faut s’attendre à une augmentation importante du coût des vols, et donc à une diminution du trafic aérien.

En attendant, tous ceux qui ont déjà eu la chance de se trouver à bord d’un aéroplane savent que c’est toujours une expérience extraordinaire. Je pense que même si on a peur en avion, la beauté du spectacle finit toujours par nous saisir. Quelques mots tout simples suffisent à le décrire : voler, voir la Terre d’en haut, franchir les distances, surplomber les nuages… Est-ce parce qu’une telle chose est en quelque sorte « anatopique » qu’elle nous fascine à ce point ? Comme nous serions fascinés par l’« anachronisme » d’un voyage dans le temps, quand bien même il ne remettrait pas en cause ni ne modifierait directement notre réalité locale…

Car si l’expérience de l’avion est de mille façons révolutionnaires pour l’Homme, elle n’abolit aucune réalité et ne modifie en rien sa présence à lui-même. Paradoxe du voyage, où l’on s’emmène partout où l’on va…

Il n’en reste pas moins que changer de point de vue peut être salutaire.

Prendre l’avion, c’est aussi mieux comprendre la géographie, percevoir l’organisation de la Nature, mais aussi de la société humaine, à une échelle inhabituelle. Vu du ciel, tout paraît aller de soi, de sa propre nature. Les fleuves deviennent des obstacles ou des voies. Les montagnes, des frontières. Les plaines, des berceaux. Les forêts, des tapis enchantés. Les mers, des espaces. Les îles, des havres. Les déserts… des déserts !

Et les nuages… Ah, les nuages ! Tout un peuple inconnu de lutins et de sylphes, inaccessible aux inattentifs, habite ces contrées subtiles. Il faut les voir à la fois se cacher et se blottir dans cet édredon de coton vaporeux, s’affairer agilement le long de rivages en équilibre, au bord de lacs ou de mers qui sont des puits sans fond ouvrant sur le monde d’en bas, ou bien gravir ces pentes enneigées sur lesquelles tomberont bientôt les feux rosés du couchant, transformant ce nappage souple et aéré en une barbe à papa géante !

J’ai la chance de prendre assez souvent l’avion (à vrai dire, c’est plutôt lui qui me prend !). Chaque fois, je me dis que le point de vue renversant qu’il nous donne sur notre Terre justifie amplement l’aventure. Qu’on se retrouve effectivement à un autre point du globe après quelques heures apparaît alors secondaire…

Demain, pourtant, je me rendrai de Mendoza, capitale de la province argentine du même nom, célèbre pour son activité vinicole, à La Paz, la mythique ville andine, capitale de la Bolivie, où m’attend probablement un sérieux mal de crâne, pour cause d’altitude excessive… Le voyage sera assez tortueux, comme les chemins des Andes : Mendoza / Buenos Aires, puis Buenos Aires / Santa Cruz de la Sierra, puis Santa Cruz de la Sierra / Cochabamba, puis Cochabamba / El Alto – La Paz !

Quatre vols en une seule journée. Quatre décollages, quatre atterrissages ! (Du moins j’espère ! 😉 )

Pendant combien de temps pourrons-nous encore utiliser l’avion de la sorte ? On m’a dit un jour qu’un simple aller-retour transatlantique faisait émettre à chaque passager (par le kérosène consommé) autant de CO2 que la limite fixée par les accords de Kyoto pour toute une année ! Ça donne à réfléchir ! Manifestement, je suis un énorme pollueur…

Saurons-nous un jour nous passer des ressources pétrolières ? Cette question a une réponse très claire : oui ! Comment ? Je n’en sais rien. Mais de fait, quand il n’y aura plus de pétrole, on n’en consommera plus ! Et cela ne saurait tarder, comme chacun sait…

En attendant, j’adresse une pensée émue aux oiseaux de toute la planète, qui, sous le regard pour le moins ambigu des humains, affrontent depuis de très longs mois la fameuse épidémie de grippe aviaire, dont l’appellation nous rappelle au passage l’origine latine du mot « avion »…

Honneur à vous, navigateurs des cieux limpides, fiers étendards ailés de nos passions aériennes. La Terre unanime vous salue et vous souhaite bon vol !

ET

¡ Buenas tardes, Buenos Aires !

Passer de l’hiver à l’été est toujours une expérience étonnante. On a beau savoir qu’il n’en est rien, on a toujours tendance à penser que l’hiver est une donnée générale, quelque chose qui correspond à un état global de la Terre, comme si c’était lié à une propriété du Soleil lui-même. Les saisons, quoi de plus évident ? Nous avons totalement intégré ce cycle fondamental. Il est devenu pour nous plus encore qu’une fatalité, un état de fait, constitutif de notre vie à son niveau le plus élémentaire. Au point que nous oublions avec une grande facilité qu’il s’agit d’un état relatif.

En atterrissant à Buenos Aires ce matin, je n’ignorais évidemment pas que ce serait l’été. Et pourtant, comme chaque fois, c’est l’étonnement. Comme si l’on avait besoin de se convaincre que c’est vraiment l’été. Non pas seulement que, c’est l’été, oui, bien sûr. Mais… c’est l’été vraiment vraiment ! Les arbres resplendissants, le ciel éclatant, la température… estivale ! Et l’humeur des gens. Plus ouverte. Plus légère. Plus facile.

Bon, voici quelques clichés (dans tous les sens du terme 😉 ) pris en cours de promenade :

La fameuse Plazza de Mayo :
Plaza de Mayo, à Buenos AiresLa Diagonale Norte :
Diagonal Norte (Buenos Aires)

Le non moins fameux obélisque,
Avenue du 9 juillet, à Buenos Aires Le fameux obélisque de Buenos Aires... , au centre de la plus large avenue du monde (c’est ce qu’ils disent !), véritable tranchée au cœur d’une ville à l’urbanisme vertical, que rien ne vient dévier de son tracé autoritaire, si ce n’est ce vieux bâtiment qu’on aperçoit au loin et que le pouvoir de l’époque n’a pas eu les moyens de contraire à la démolition pure et simple. Et pour cause, c’est une terre étrangère : il s’agit… de l’ambassade de France ! (Ah, ces français : toujours en travers de la route 😉 )

Plus pittoresque, le métro de Buenos Aires :
Dans le métro, à Buenos Aires... Dans le métro, à Buenos Aires... Dans le métro, à Buenos Aires... Dans le métro, à Buenos Aires...
La gare ferroviaire de Retiro :
La gare de Retiro (Buenos Aires)

Et, bien sûr, le plus grand estuaire du monde et les eaux rouges si troublantes du Rio de la Plata, ici dans le quartier de Vicente Lopez :
Rio de la Plata à Buenos Aires Rio de la Plata à Buenos Aires Bleu, rouge et vert
Le même « fleuve » (on a peine à croire que c’en est un !), vu depuis le bâtiment des forces aériennes au coucher du soleil. Au centre de l’image, la Lune, presque pleine, indique la direction de l’Uruguay, de l’autre côté de cet « océan d’eau douce »…
Rio de la Plata (Buenos Aires)

À bientôt, sous d’autres latitudes ?

ET

Des orages radio sur Saturne

On a l’habitude de s’émouvoir de la violence de phénomènes tels que les orages ou les tempêtes. L’impétuosité des flots, la colère des cieux, la fureur des volcans : autant de clichés dans notre paysage mental et notre appréhension de la Nature… Vénération craintive ou terreur affolée, ces phénomènes naturels nous laissent un sentiment d’écrasement et de démesure, une captivation qui est d’abord captivité dans l’horizon de nos références ordinaires.

Ces phénomènes naturels qui nous impressionnent se distinguent avant tout par leur intensité, leur puissance, qui se projette avec outrance dans la gamme limitée de nos sens.

Mais pourquoi faudrait-il que l’intensité soit associée à la colère ou la violence ? Ne pourrait-elle pas célébrer semblablement l’ivresse ? L’extase, la béatitude, l’explosion d’une joie cosmique, l’élan d’un bonheur passionné ?

Il y a deux jours, de passage à l’Observatoire de Meudon, j’appris inopinément l’existence d’un phénomène exceptionnel (ou bien était-il simplement inattendu ?) détecté par la sonde Cassini en orbite autour de Saturne. Du 23 janvier au 1er mars (si mon souvenir est bon), un « orage » gigantesque s’est déchaîné sur une zone de la taille des Etats-Unis, à raison d’à peu près un « éclair » par seconde ! Pendant ces cinq semaines, la détection des impulsions d’ondes radio associées à ce phénomène n’a cessé que lorsque la sonde, entraînée dans son orbite, passait périodiquement (toutes les 10 heures) de l’autre côté de la planète… Il se pourrait même — mais ce n’est pas confirmé — que certaines de ces impulsions aient été détectées depuis la Terre !

Mais le gigantisme est toujours relatif.

La vie des galaxies est marquée quelquefois d’événements fulgurants, nommés « sursauts gamma », par lesquels se trouve émise en quelques secondes une puissance égale à ce que rayonnerait notre Soleil en mille millions de milliards d’années (soit cent millions de fois plus longtemps qu’il n’aura vécu quand s’éteindra dans le silence son généreux feu intérieur !). Délire incontrôlé de fureur vengeresse, ou bien miraculeuse offrande de l’espace à la lumière ?

Certains diront qu’il faut en ces circonstances se garder de tout anthropocentrisme, et que la notion même de gigantisme est étrangère au phénomène. Mais pourquoi devrions-nous fermer nos yeux humains devant les spectacles de la Nature et du Cosmos ?

Et « l’objectivité » n’est-elle pas elle-même anthropocentrique ?

Violence ou ardeur céleste ?
Quelle que soit l’intensité du feu, chacun perçoit finalement selon sa propre flamme… et l’inclinaison de son âme !

ET

PS : l’immense orage radio sur Saturne n’est pas encore fait l’objet d’une publication, et j’espère que mes collègues radioastronomes du LESIA me pardonneront cette divulgation intempestive… Quoi qu’il en soit, je plaide non coupable : personne ou presque ne lit ce blog ! 😉 Et comme dit l’autre : si ça sort d’ici, je saurai que c’est vous !

La vérité est ailleurs

Les X-files ne nous mentent pas (au moins 😉 ) sur ce point : « la vérité est ailleurs » !

Ceux qui ont déjà entendu parler de la Physique Quantique savent qu’il est difficile d’en parler de manière simple et qu’elle s’appuie sur des notions mathématiques complexes. Les autres, ceux qui n’en ont jamais entendu parler, ont peut-être en réalité plus de chance. Car ignorant les préjugés communs, il se peut qu’ils comprennent plus facilement ce qu’elle a au fond d’éminemment naturel.

Qu’est-ce que la Physique Quantique ? C’est le cadre de toutes nos théories physiques sur la matière, le rayonnement et les interactions entre particules.

Un des plus grands physiciens du XXème siècle, Richard Feynman, qui a beaucoup contribué à ce cadre théorique et a obtenu le prix Nobel en 1965 pour ses travaux dans ce domaine, a déclaré un jour : « Je pense pouvoir dire sans risque que personne ne comprend la mécanique quantique. » Alors évidemment, si même Richard Feynman le dit…

Pourtant, au risque de choquer les fanatiques de ce physicien, certes exceptionnel, il me semble que derrière l’affirmation que la Physique Quantique est incompréhensible, on ne devrait pas entendre autre chose qu’une déclaration un tantinet plus prosaïque : « je ne comprends pas la Physique Quantique ». Cela laisse tout de même le champ un peu plus ouvert pour les autres !

On objectera que si Richard Feynman lui-même, qui a tant contribué à cette science, confesse qu’il ne la comprend pas, ce n’est pas le premier chercheur venu qui pourra prétendre faire mieux. Peut-être, mais on peut aussi répliquer qu’il est étrange qu’on puisse à ce point contribuer à une science que l’on ne comprend pas. Une question mérite alors d’être posée : Richard Feynman ne comprenait-il pas la Physique Quantique, ou bien refusait-il de la comprendre ?

C’est en lisant aujourd’hui une phrase de Tom Siegfried, un brillant journaliste scientifique états-unien, que j’ai souhaité dire ici un mot de physique quantique. Dans son livre The bit and the pendulum, il écrit ceci : « Understanding quantum objects is like enjoying a Hollywood movie — it requires the willing suspension of disbelief. » C’est très bien tourné en anglais, alors pardon pour la traduction : « Comprendre les objets quantiques, c’est comme prendre plaisir avec un film hollywoodien — ça nécessite la suspension délibérée de l’incrédulité ». Je trouve cette formule remarquable… et très juste !
Rassurez-vous, cher lecteur, je ne vais pas discourir longuement sur la Physique Quantique. Mais je pense que pour en aborder la perspective, il pourrait suffire de dire ceci : en physique quantique, il apparaît clairement que :

  • le « monde » où évoluent les particules, où elles interagissent, N’EST PAS le monde physique manifeste ;
  • aucune matière ne saurait se concevoir comme « objet » disposé dans l’espace (ou l’espace-temps) ;
  • le monde dans lequel nous croyons vivre ne peut avoir au mieux qu’une réalité apparente, en liaison directe avec notre propre interaction avec lui ;
  • en particulier, les phénomènes sensibles sont des projections qui opèrent au mieux une réduction de la réalité sous-jacente, et qui en fait la travestissant.

Le reste impliquerait certes des développements parfois complexes, notamment sur le plan mathématique, précisant dans quelle mesure et de quelle manière ces « projections » s’effectuent, ou comment on peut avoir une idée de la structure du monde sous-jacent où se définissent de manière plus juste les particules, etc. Mais sur le fond, ce qui semble poser problème dans la Physique Quantique n’est pas particulièrement effrayant.

Les quelques points ci-dessus sont-ils incompréhensibles ? Je ne le crois pas du tout ! Cela s’énonce en bon français, et cela peut même paraître, d’un certain point de vue, tout à fait naturel ! Si l’on juge la Physique Quantique particulièrement étrange, voire absurde (comme Richard Feynman se plaisait à le dire), n’est pas alors tout simplement qu’on en refuse l’enseignement ?

En tout état de cause, la physique quantique ne me paraît nullement moins compréhensible que la physique newtonienne. Par bien des égards, elle est en réalité plus sensée, philosophiquement, et s’affranchit de nombreux problèmes conceptuels posés par ce qu’on pourrait appeler les « absolus objectifs » de Newton.

Pour finir (provisoirement ;-)), je dirais qu’à la lumière de la Physique Quantique, il est aujourd’hui impossible à un physicien d’être matérialiste (au sens que l’on donne habituellement à ce mot), ou si l’on préfère, être matérialiste aujourd’hui, c’est, en connaissance cause, comprendre que la réalité ontologique du monde ne se situe pas sur le plan du monde physique manifesté aux sens.

En bref, « la vérité est ailleurs » !

ET

La Nature adore le vide !

La maxime (de qui est-elle, d’ailleurs ?) est bien connue, et (sur)abondamment invoquée : « la Nature a horreur du vide ! ».

Vraiment ?
Il semble en réalité que ce soit tout le contraire : la Nature adore le vide ! Dès qu’elle en rencontre quelque part, elle se jette sur lui pour le dévorer. Le vide jamais n’y résiste : la Nature l’engloutit ! De la gloutonnerie, oui !

Faites le « vide » dans un récipient, ouvrez le couvercle : l’air s’y engouffre ! Brisez un barrage, une digue : l’eau se répand avec fracas !

Les Hommes, pareillement, se précipitent toujours sur le moindre vide pour le remplir. Les pensées viennent combler le silence avec une redoutable avidité. Un champ est libre ? Il est aussitôt exploité. Des monceaux d’idées erratiques s’infiltrent dans le moindre espace laissé vacant. Le moindre repos, la moindre respiration de l’esprit se trouve envahie. C’est une violence.

Et c’est toujours malgré soi ! Nous sommes impuissants à contrôler ces flux, et nous commettons l’erreur de les tenir pour des marques d’agilité mentale !

Ainsi la Nature, physique ou mentale, loin d’en avoir horreur, a pour le vide beaucoup trop d’appétit. Car c’est un appétit destructeur, qui ne sait préserver ce qu’il aime ! Le vide ne résiste pas à ce dévorement, d’où le sentiment que la Nature ne l’aime pas, et c’est aussi pourquoi l’Homme ne parvient jamais à s’en rassasier : le vide consommé n’est pas assimilé.

Pourtant, quand il saura contempler ce vide et s’y abreuver sans le détruire, sans le combler, il comprendra probablement que ce qu’il aime réellement en lui, c’est la présence subtile et indestructible qui s’y manifeste. Cette présence n’est jamais abolie dans le vide, mais pour la pouvoir saisir, encore faut-il ne pas abolir le vide lui-même !

Pas facile, pour la pensée prédatrice qui nous habite et nous conditionne…

Lato sensu

Un soleil d’or caresse intimement l’horizon oscillant de branches effilées. La Lune, aujourd’hui nouvelle, se laisse oublier dans la grâce voilée des prairies de lumière. Un monde affleurant se descelle et filtre lentement par les puits de l’espace. Un monde extasié, dissident.

Ô signe immense de l’abyme !
Inonde le corps de l’espace !
Lato sensu !

ET

Blasphème suprême à Samarra

Il n’y aura donc aucune limite, aucun d’interdit d’aucune sorte.

Est-ce cela qu’on appelle le chaos ? Un monde où l’improbable est démenti par l’évidence des faits, où l’impensable est résolu par l’acte même, et où les situations les plus explosives ne cessent de dépasser leur propre paroxysme ?

Le mausolée de Samarra a donc été détruit. Son dôme doré, phare d’une spiritualité perçant la nuit des hommes depuis de nombreux siècles, est à son tour enseveli sous la poussière de l’ignorance. Il est sans doute impossible de se représenter « de l’extérieur » ce que signifie pour un shiite la destruction du sanctuaire de Samarra. Mais quiconque a eu la chance de croiser le sillage d’Henry Corbin et de pénétrer quelque peu son œuvre monumentale — notamment son étude « En Islam iranien » (Gallimard), qui donne au shiisme duodécimain sa pleine perspective mystique, métaphysique et philosophique —, sait que l’acte qui vient d’être commis contre le mausolée des deux derniers imams visibles dépasse de loin, dans l’esprit du croyant chiite, les épisodes tragiques qui se sont déroulés depuis le début de l’offensive américaine en Irak et l’affrontement entre communautés sunnites et shiites dans ce pays.

Il est certes impossible de mettre sur le même plan les atrocités humaines et individuelles (cf. assassinats, bombardements aveugles, massacres de civils, tortures et traitements inhumains…) et les actes de destruction symbolique comme celui-ci… Mais si les horreurs individuelles sont toujours évidemment les plus abominables et les plus intolérables sur le plan humain, on sait que ce sont les destructions symboliques qui acquièrent la plus grande portée à l’échelle des nations ou des peuples, et qui provoquent les réactions les plus considérables sur le plan politique et social (cf. le 11 septembre 2001, l’attaque de Pearl Harbour, et plus généralement le déclenchement de la grande majorité des guerres de l’Histoire).

Cet attentat, à ce moment précis, dans ce contexte géopolitique particulier, avec ses ramifications à toutes les échelles et dans toutes les sociétés, possède une telle portée symbolique et politique qu’il est probablement impossible d’en envisager les conséquences effectives. Il semble presque échapper à son contexte spécifique, à ses acteurs et à son lieu. Les Hommes peuvent-ils encore se prévaloir d’avoir le moindre contrôle sur les situations qu’il déclenchent ou qui les entraînent ?

Cette guerre des images et des symboles, il semble que ce soient les événements eux-mêmes qui se la livrent à présent, indépendamment des Hommes qui les font apparaître !

Quelle ironie, hélas ! D’aucuns s’insurgeaient hier contre l’irresponsabilité et la provocation haineuse que représentait selon eux la publications de quelques dessins sur du papier journal. Invraisemblable, ubuesque ou ridicule m’avait paru cette affaire (cf. les posts des 8, 9 et 10 février). Mais qui aurait pu se douter que l’actualité allait se charger elle-même d’en démontrer l’inconséquence. Ô comme tout cela est loin à présent ! Si la publication d’un dessin dans un journal libre et indépendant du Danemark a pu provoquer les manifestations que l’on sait, causant déjà de nombreuses morts, les incendies de consulats, les emprisonnements, les appels au meurtre, etc., quelle « manifestation d’indignation » peut-on provoquer la destruction d’un lieu Saint parmi les lieux Saints du shiisme ? Il n’y a tout simplement pas de commune mesure. « Provocation ! », « Blasphème ! », avait-on dit devant la représentation graphique du Prophète. Mais alors, quel mot reste-t-il pour qualifier cet attentat de Samarra ?

La disproportion entre ces deux faits pratiquement concomitants donne le vertige… et éclaire peut-être d’un jour nouveau les circonstances de l’envenimement de cette fameuse affaire des caricatures. Une chose est sûre : si le choc des civilisations est inévitable et si la guerre des religions doit éclater, il faudra compter également avec des affrontements au sein de l’islam. Ce n’est une nouveauté ni religieuse, ni politique, ni sociale, mais l’événement de ce matin donne à cette réalité une dimension incalculable…

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