Coup de boule

Bon, bon, d’accord, c’est promis Tristão, je ne le dirai plus !

Ce fameux match de finale de la coupe du monde de football 2006 se passe vraiment de commentaire. Ou alors il y aurait à écrire une thèse entière sur le sujet !

Il serait bien mesquin – et j’ai de toute façon trop d’amis italiens pour m’aventurer sur ce terrain (de foot) – de remarquer que l’équipe de France a mieux joué, mieux construit, mieux respecté l’esprit du jeu… jusqu’à ce fameux coup de tête de Zidane qui, sur le moment, m’a passablement choqué – et je dirais même coupé le souffle (quoique peut-être un peu moins qu’à Materazzi ;-)) –, mais dont je me suis ensuite rendu compte qu’il avait aussi des vertus intéressantes.

Après la stupeur face à ce geste absurde et pour tout dire « primaire », j’ai bien sûr ressenti une réelle tristesse en voyant ce joueur exceptionnel terminer sa carrière sur un carton rouge, à quelques minutes du sacre ou d’une seconde place parfaitement honorable (et presque miraculeuse !) en Coupe du Monde, et quitter le terrain piteux, sans doute meurtri par son propre geste, pour un comportement détestable offert à la consternation de plus d’un milliard de téléspectateurs !

Ah, ça c’est sûr, ça casse le mythe !

Mais justement, une fois l’émotion passée (et c’est le propre de l’émotion que de passer très vite, n’est-ce pas ? – preuve qu’elle pas grande valeur), n’est-ce pas finalement la meilleure chose qu’on eût pu souhaiter à Zidane ?

Cette image d’un Zidane tout doux tout gentil, un quasi sage, un quasi Saint, ce sont avant tout les medias et les publicitaires qui la lui ont bâtie (ou du moins fortement suggérée). Rien à voir, pourtant, avec la réalité ! Quand on ne connaît rien au foot (c’est mon cas !), on veut bien y croire : on admire la maestria de l’artiste (ça, c’est visible pratiquement à chaque balle qu’il touche), et si l’homme est en outre la douceur même, plein de respect pour le jeu et les joueurs, eh bien, c’est formidable ! Pourquoi pas ? On ignore que Zidane a déjà de nombreux cartons rouges à son actif. On croit qu’il a toujours été parfait, humainement parfait tout au long de sa carrière, et qu’il n’est finalement tombé qu’à la toute dernière minute, poussé par un destin tragique, comme s’il avait par offenser quelque dieu olympien par sa grâce… Billevesées ! Mais qu’importe ?

Qu’importe pour nous : franchement qu’est-ce que ça change ? (Zidane n’est plus un héros ? Mais l’était-il vraiment ? Ou bien certains ont-ils joué à le croire – avec quelle naïveté ! – ? Non, vraiment, Zidane est un joueur de football, un immense joueur d’accord, l’un des meilleurs, peut-être le meilleur de ces dernières années, mais restons sérieux…)

Et qu’importe pour lui ? Il est ce qu’il est, après tout. Si ça ne plaît pas, on se détourne. Si ça plaît, on adopte. Si ça indiffère, on passe son chemin – avec (quant à moi) ou sans une révérence devant le talent.

Alors je me suis demandé si, outre Materazzi, ce n’était pas aussi aux médias sans scrupules et à ses fans transis que Zidane avait mis ce coup de boule magistral. « Voilà qui je suis aussi, et merde ! » Peut-être est-ce cela le véritable message derrière ce coup de tête. Et en retour, ne serait-ce pas le respecter davantage que de l’accepter tel qu’il est ? Et pour cela, ne faut-il pas déjà reconnaître qui il est ?

En tout cas, ce geste, tellement chargé de sens, tellement symbolique, à un moment tellement particulier pour le joueur de football Zidane, ce geste n’est pas, ne peut pas être un hasard. Aussi, en détruisant le mythe lors de son dernier match, de manière aussi radicale, c’est comme si la Providence lui avait permis de faire ses adieux aussi à cette image stupide, puisque illusoire, qu’il n’avait d’ailleurs probablement jamais sollicité lui-même !

Sur ce coup de tête, Zidane n’a pas triché. De cela, il peut être fier. Pourquoi pas ?

Ce n’est pas un exemple à suivre ? Ah ça non ! Mais après tout, pourquoi devrait-il l’être ? D’un point de vue sportif, c’est hautement condamnable. Cela a d’ailleurs été condamné – on ne peut plus justement. Ça méritait incontestablement un carton rouge. Il a reçu un carton rouge. Parfait. Fin de l’épisode.

Pour le reste, l’équipe de France a perdu. Ni bien, ni mal. Bon, on peut passer à autre chose. Et d’autres choses, tellement plus sérieuses et plus graves, ça c’est sûr, il y en a !

En attendant, j’ai pensé à une chose amusante : dans mes premiers podcasts (cf. posts de fin mai–début juin : ici, , et ), j’ai assisté avec étonnement à la liesse générée à Catane, en Sicile, par l’accession de l’équipe de football de la ville à la première division). En essayant de comprendre la raison d’un tel déferlement d’émotion, je m’étais souvenu que le football représentait pour les italiens, de leur aveu même, une des choses les plus importantes de la vie (sociale ?), et je m’étais dit que l’un des moteurs de la joie fébrile de ces supporteurs pouvait être la perspective, en passant en première division, d’accueillir sur leurs sol, dans leur stade, les héros que ne devaient pas manquer de représenter pour eux les joueurs de la mythique Juventus de Turin. Oui, ils allaient faire le déplacement jusqu’à eux ! Peu importe ensuite que les joueurs de Catane s’inclinent devant une équipe probablement beaucoup trop forte pour qu’ils puissent faire illusion très longtemps (encore que, sait-on jamais… devaient penser les plus hardis) : ils seraient là, sous leurs yeux admiratifs, pour un match de rêve, un conte magique pour des enfants émerveillés.

Seulement voilà. Le sport professionnel en général (et le football en particulier – spécialement en Italie !), étant devenu ce qu’il est, Materazzi et ses co-équipiers ne viendront pas à Catane !!! Ils ont été rétrogradés en une division inférieure (pour malversation, tricherie agravée, entente crapuleuse avec les arbitres, etc.), au moment même où Catane accédait au saint des Saints du football ! Quel ironie !

C’est ainsi : ce sont toujours les mêmes qui font les frais de la trahison des rêves par ceux-là mêmes qui sont censés les incarner : les enfants de Catane aux yeux émerveillés ne verront pas le Père Noël aux rayures blanches et noires !

Qu’ils se rassurent : il y a d’autres Pères Noël, moins mercantiles, moins mesquins, moins vénaux. À chacun d’en guetter les signes discrets dans son cœur et dans son âme, là où les rêves ne se brisent que pour donner vie à des rêves plus limpides et plus merveilleux encore, où les insultes les plus primaires sont devenues des odes angéliques, les coups de boule des caresses divines, et les coupes du monde des cieux embrasés de lumière sacrée, où l’âme se projette dans l’extase de l’harmonie
et de la grâce.

À bon entendeur, salut !

ET