Relever de soleil

Vol AF 7552, 17h45, Paris/Montpellier, dimanche 5 février

À la faveur d’un léger retard au décollage, j’eus ce soir l’occasion d’assister à ce spectacle dont je m’étais déjà enthousiasmé il y a quelques années, au dessus de l’aéroport d’Athènes : un « relever de Soleil » !

La Terre tourne sur elle-même – c’est un scoop ! – et nous entraîne chaque soir imperturbablement des lieux faisant face au Soleil vers ceux d’où il nous est masqué, s’ouvrant sur l’autre moitié de l’espace, dans l’infini du ciel étoilé. Ainsi passant à proprement parler dans l’ombre de la Terre, nous quittons le jour pour la nuit.

Le Soleil venait juste de se coucher sur Orly lorsque l’avion prit son envol. « Se coucher », c’est passer sous l’horizon, n’est-ce pas ? Seulement, la Terre est ronde – un autre scoop ! – et l’horizon n’est pas la projection d’un infini qui s’étendrait sans limite devant nous, mais simplement le point où notre regard rasant caresse le bord incurvé de la Terre qui, au-delà, s’affaisse hors de la vue. Un géant, de son regard altier, peut ainsi apercevoir à tout moment, un peu plus loin que nous, quelques arpents de Terre qui nous restent cachés. N’est-ce pas pour cette raison que le navigateur soucieux de repérer au plus tôt les rivages se perche sur la hune ?

Ainsi, prenant de l’altitude, nous voyons l’horizon reculer. Tant et si bien qu’en s’élevant suffisamment, immédiatement après le coucher du Soleil, il est possible de le voir… se relever ! C’est exactement ce dont je fus témoin ce soir. Par son ascension rapide, l’appareil sembla comme immobiliser le temps, puis faire tourner notre Terre à l’envers ! Le Soleil surgit alors de l’horizon sud-ouest qui venait à peine de l’engloutir, et par un lever occidental (un « relever » !) des plus paradoxaux, gagna de la hauteur.

Mais ayant finalement atteint son altitude de croisière, l’avion ne put lutter plus longtemps contre la rotation terrestre, et le Soleil commença de descendre à nouveau. Il allait bientôt se coucher pour de bon : les géants eux-mêmes ont leurs horizons !

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Sans doute avons-nous besoin nous aussi, quand une situation devient confuse, de quitter le plan immédiat où ses différents aspects s’entremêlent, et de prendre un peu de hauteur pour faire jaillir sur elle une lumière nouvelle.

Rien à voir avec l’actualité, bien sûr…
Mais il arrive en effet que l’horizon obscurci redevienne plus clair… Oh, pour un temps seulement, certes – la sombre récolte des moissons obscures n’est pas moins inévitable que la rotation de la Terre – mais loisible à chacun de mettre au service de sa propre lumière le sursis qui lui est alors accordé. Quand d’autres fourbiront leurs armes, tâchons de fourbir patiemment nos âmes.

Jeu de mot sublime, n’est-ce pas ? C’est aux Humains Associés que je le dois ! En 1989, ils affichaient sur les murs de nos villes, en marge des « célébrations du bicentenaire » (nous sensibilisant ainsi à d’autres révolutions plus salutaires encore), cet inégalable et imprescriptible appel : « Aux âmes, citoyens ! ».

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Ce soir, dans le ciel de Montpellier comme partout ailleurs sur la Terre, la Lune était à la moitié de sa phase ascendante : « premier quartier », comme on dit (pour une belle raison, qui échappe pourtant aux inattentifs). Mi ombre, mi lumière. Parfaitement partagée. Et juste à ses côtés, en une presque parfaite conjonction, un point brillant et rouge : une planète Mars. À l’aplomb de la Place de la Comédie (humaine !) : la guerre, l’ombre, la lumière, en un ballet suspendu, incertain, peut-être un répit, peut-être un embrasement…

Rien à voir avec l’actualité, bien sûr…