Et le temps s’emballa le long du méridien…

En voyageant le long d’un méridien, comme je viens de le faire par exemple de Groningen à Paris, on peut faire une observation intéressante.

Méridien… le mot lui-même est intéressant !

Certes, tout le monde le sait : la Terre est ronde et tourne sur elle-même autour de l’axe des pôles. Un méridien, c’est n’importe quelle ligne allant d’un pôle à l’autre, ou plus exactement, n’importe quelle ligne les joignant « au plus court », c’est-à-dire en allant « tout droit » – autant qu’il est possible à la surface d’une sphère…

Comme la Terre tourne sur elle-même, le Soleil se déplace dans le ciel au cours de la journée, se levant à l’horizon, d’un certain côté du paysage (entre le sud-est et le nord-est), montant de plus en plus haut jusqu’à un maximum, et redescendant ensuite symétriquement vers l’horizon de l’autre côté du paysage (entre le sud-ouest et le nord-ouest). Le reste du temps, c’est la nuit. Pendant le jour, il y a donc une phase montante et une phase descendante, avec au milieu, un maximum d’élévation pour le Soleil. Cet instant, ce « milieu du jour », c’est « midi » : mi-di (comme la mi-temps d’un match de foot, mais à partir du latin dies, qui veut dire « jour », comme dans lun-di – le jour de la Lune –, mar-di – le jour de Mars –, mercre-di – le jour de Mercure –, etc.).

Alors, voilà : on sait bien sûr qu’il n’est pas là même heure au même moment partout sur la Terre (il peut faire nuit au Japon ou au Brésil quand il fait jour en France), mais il se trouve qu’il est midi exactement au même instant pour tous les points situés sur le même méridien ! De fait, comme midi, méridien vient de medius (milieu) et dies (jour). Ainsi, qu’on soit près du pôle Nord en mer du Groenland, en Hollande, en France, en Algérie, ou dans l’hémisphère Sud et jusqu’en Antarctique, pourvu qu’on soit sur le même méridien, il est toujours exactement la même heure (solaire) !

J’avais parlé, dans un billet précédent, de l’expérience toujours étrange consistant à passer de l’hiver à l’été en changeant d’hémisphère. Mais celle que j’ai faite cette semaine lors d’un court voyage d’à peine 700 km n’est pas moins intéressante. Les mêmes arbres qui sont ici, à Paris, tout resplendissants de leurs feuilles tendres et claires, fraîchement épanouies sous les cieux souriant du printemps, n’avaient, à Groningen, pas la moindre pousse verdâtre au bout de leurs branches dénudées ! Et puis, en redescendant plein Sud vers Paris, c’est comme si j’avais vu le printemps exploser dans les arbres, se déployer avec ivresse, comme on rit aux éclats, condensant des semaines d’épanouissement timide en quelques heures effervescentes.

Dès les abords de l’IJsselmeer, les premiers bourgeons forçaient le bois rigide encore accroché à l’hiver. Puis, faisant toujours route vers le Sud, j’ai pu voir ces bourgeons s’allonger et se multiplier, teintant de vert jaunâtre les branches à présent relâchées et confiantes. À Amsterdam, c’étaient déjà de petites feuilles qu’on voyait orner les mêmes arbres, et puis, de plus en plus, ces feuilles s’étiraient, s’affirmaient, s’offraient à la lumière. À Anvers, on comprit qu’il n’était plus question pour elles de rester repliées, engoncées dans leur gaine. Il fallait rayonner au grand jour ! Se révéler, comme des origamis que l’on ouvre…

À Bruxelles, le crépuscule était déjà bien avancé, mais les arbres donnaient à la lumière des réverbères la pleine mesure de leur franche gaieté. Arrivé à Paris, je ne pus qu’admettre l’évidence : la vivacité végétale, l’éclosion triomphante n’étaient plus même cette ardente rumeur s’égaillant dans les branches. Le printemps n’était plus cette fougue haletante : il était là ! Entériné.

Tout étourdi encore par cet accéléré où le temps s’emballa le long du méridien – comme si Dieu s’était endormi sur la manivelle du temps et que l’orgue de Barbarie qui joue la partition saisonnière de la Terre avait avalé à la hâte un surcroît de feuilles perforées – je vous adresse de printanières pensées.

Qu’éclosent dans le vent nos rêves de lumière !

ET